Trois rastels du Quercy 




Il était une fois, dans une ferme du Quercy au lieu-dit le Pech de Fourque, un jeune garçon paisible et travailleur du nom de Pierril. A l’exemple de son père, il s’appliquait à bien faire tous les travaux communs aux paysans sur ces rudes terres de causses. La tâche dont il s’acquittait avec le plus grand plaisir était de faire le pain dans le fournil de la ferme. Il aimait les odeurs de boulange, l’arome et le chant du pain chaud juste sorti du four. La farine, la pâte, le bois, le feu, toute cette alchimie de la fabrication du pain était un régal pour Pierril.

Un jour d’été, une guerre fut déclarée, loin des terres des causses. Ce fut la première que l’on appela mondiale. Toute la jeunesse paysanne du pays était appelée à servir sous un uniforme bleu horizon. Avant son départ, Pierril prépara une dernière fournée pour l’offrir à tous ses voisins et amis. Il termina sa distribution par la gariotte isolée d’une vieille que tous disaient un peu sorcière. Pierril la connaissait depuis sa tendre enfance. Il l’avait toujours respectée et souvent aidée. « Mon enfant tu vas connaître de biens terribles épreuves. A mon tour, je vais t’aider. Prends trois pierres de couvrement sur le mur de ton père, trois rastels bien lourds et enfourne-les dans ton four encore chaud. Demain à l’aube, avant ton départ, tu y retrouveras tes trois rastels changés en biscuits. Glisse-les dans ta besace de soldat. Si un péril te menace mange un rastel. Croque, crinque, crunche ! Tu seras protégé par la magie des pierres du Quercy ! »

Pierril remercia la vieille. De retour à la ferme, il découvrit le mur de son père de trois rastels qu’il plaça dans le four encore chaud. Quand au matin il l’ouvrit, il y trouva trois biscuits de mêmes formes que les pierres mais beaucoup plus petits, légers et encore tièdes. Il les rangea dans sa besace et partit vers son destin.

Cette guerre s’éternisa dans l’horreur. Une nuit, la tranchée où se terraient Pierril et ses compagnons, fut canonnée à l’aveugle par quelque batterie ennemie ou alliée. Pierril se retrouva enterré vivant sous des monceaux de bois de boue et de corps. C’est alors que contre lui, il sentit une tiédeur sourdre de sa besace au travers de sa vareuse empesée de crasse et de boue glacées. Il en dégagea un des trois rastels qu’il porta à sa bouche. Croque, crinque, crunche ! Il avait encore en bouche la saveur du biscuit quand il entendit des bruits lointains ; il comprit qu’on fouillait pour la terre près de lui. On le dégagea. Il était le seul survivant de ce bombardement.

Quelques temps plus tard, Pierril était posté en sentinelle, quand il vit un brouillard épais se propager vers sa position : les gaz. Une arme aussi aveugle qu’horrible employée indistinctement par les deux camps. La mort brumeuse rampait vers lui quand il sentit une douce chaleur rayonner de son barda. Il saisit dans son sac un rastel miraculeusement tout tiède. Croque, crinque, crunche ! Pierril avait encore la bouche pleine des miettes savoureuses du biscuit que, venue d’on ne sait où en ces terres du Nord, une bourrasque de vent d’Autan souffla curieusement sur le brouillard fatal et l’emporta dans les nuées. Pierril était sauf.

Un jour d’automne, la guerre prit fin. Pierril retourna dans ses chers causses du Quercy. La première chose qu’il fit en arrivant à la ferme fut de replacer trois beaux rastels de pierre sur le mur de son père. Il changea aussi les activités de son ancien mode de vie, car il se consacra essentiellement à boulanger dans le fournil familial. Il y fabriquait entre autres, un biscuit délicieux qu’il nomma « Rastel », comme ces pierres de couvrement qui assurent la solidité des murs en pierre sèche et les protègent des infiltrations.

Mais au fait, me direz-vous, qu’a fait Pierril de son troisième rastel ? Il l’a gardé pour la faim … Et toi qui m’écoutes, croque, crinque, crunche ! Tu seras protégé par la magie des pierres du Quercy !

E cric e crac, mon conte es acabat…


Maurice Baux, bouquiniste bolegayre