D'un seul coup dans le four |
Il y a bien longtemps de cela, à l'autre bout du pays, vivait, dans une petite maison, un garçonnet maigrelet. Il mangeait en si petite quantité, avec un tel dégoût, que bien des gens, dans un cortège incessant, venaient lui proposer des mets plus ou moins succulents afin de lui faire trouver l'appétit. Arriva un jour une vieille mal fagotée, apportant dans un grand panier de quoi se rassasier.
L'odeur était fort agréable, le garçon sentit la salive monter dans son gosier. Il avait faim enfin, cela faisait envie.
Et elle disparut. L'enfant regarda longuement ce présent. Il s'assit, s'adossa au mur de la maisonnette qui sembla l'engloutir, marquant l'emplacement. Comment pourrait-il faire pour tout ingurgiter d'une seule bouchée ? Il se vit essayant, confortablement assis dans le fauteuil magique du géant son voisin, ouvrant plus grand la bouche qu'un gouffre, qu'un abîme, mais il restait le panier. Il lui fallait trouver une autre solution. Assurément l'odeur le tentait. C'est alors qu'il alla chez son autre voisin en quête de service :
Notre héros montra donc le panier et ce qu'il contenait.
L'homme semblait gêné, quelle solution pourrait-il apporter ? Il réfléchit en vain, donnant quelques conseils évasifs, sans convaincre.
Mais l'enfant, lui, voulait d'un seul coup avaler le panier et ce qu'il contenait. Les jours passaient sans qu'aucune solution fut trouvée. Si cela continuait, les denrées périraient et tout serait perdu.
Un magicien joufflu enfin lui apparut.
Alors le magicien, d'un grand coup de baguette, pressa sur le nez de l'enfant qui, contrit de douleur, ouvrit très grand sa bouche.
En appuyant encore plus fort sur le nez du gamin, il s'opéra une transformation : une belle ouverture, dégagée de ses dents, une voûte semblable à un palais, cavité de la bouche, devenait le foyer rougeoyant d'un feu incandescent... La langue s'étala, bien lisse, plate, telle une sole. Le magicien poussa braises et cendres dans le fond et, d'un seul coup, put enfin enfourner le panier bien garni. L'enfant tétanisé a cru tout avaler et d'un coup ! La bouche s'est refermée. Du nez il sortait une fumée légère ; l'odeur était encore plus agréable que celle du panier laissé par la mémé. N'y tenant plus, le magicien joufflu, bavant d'envie, retourna vers l'enfant et, dans un bel élan, appuya sur le nez, fortement. La porte, que dis-je, la bouche s'ouvrit, laissant apparaître des mets succulents, bien rôtis, du pain croustillant, cuit à point, du panier il ne restait plus rien. Alors, le joufflu convia tous ceux qui avaient défilé devant l'enfant maigrelet. Sortant de sa bouche chaude, ce festin dévoilé, tous mangèrent. Quant à l'enfant prostré, on remplissait sa bouche de tout ce qui pouvait cuire et il le transformait en délicieux dîners. Maigrelet il était, maigrelet il restait, mais l'imagination d'un homme très curieux permit de fabriquer à l'identique de la bouche enfantine une sorte de voûte fermée par une porte, posée sur une sole et qu'on nomma un « four ». L'enfant fut délivré de sa fonction et put savourer à son tour ce qui sortait du four.
Michèle VAYSSIE
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