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Il
était une fois, un paysan de Mouillac surnommé Lou
Gourgo. Veuf de longue date, il vivait dans sa ferme perchée
tout en haut du lieu dit le Pech, entouré de ses trois fils.
Tous les jours, dès l'aurore, il sortait sur le "ballet" de sa
maison et contemplait champs et vallons, heureux du spectacle
harmonieux d'une belle nature lumineuse offerte à tous.
Un matin, alors qu'il se livrait à sa contemplation quotidienne,
Lou Gourgo remarqua particulièrement un champ verdoyant dans une
combe. Et tout soudain, il se prit à penser : "Comme cette terre
doit être riche pour rester encore si verte à cette
saison. Sur mon âme je donnerai bien une part de ma chair pour
avoir ce lopin."
A peine avait-il pensé la chose qu'il entendit le roulis métallique d'un charreton sonner sur le chemin.
Un vieillard attelé à une carriole bondée de
ferrailles hétéroclites et autres marchandises
grinçantes s'avançait péniblement vers lui.
Lou Gourgo interpella le bonhomme : "Que viens-tu quérir ici avec ta bricole? Je n'ai point besoin d'aucune babiole ."
_ "Ce n'est pas ce que tu viens de penser Lou Gourgo et je peux te
procurer l'objet de ta convoitise qui verdoie à l'horizon ".
Stupéfait, Lou Gourgo réfléchit : "Ce colporteur
doit être quelque puissant sorcier pour connaître mon nom
et mes pensées ".
"Puisqu'il semble que tu saches l'objet de mon désir, mieux que moi -même,
comment puis -je l'obtenir ?"
_ "Demande à ton fils aîné de creuser seul un puits
à l'entrée du Pech. Quand il arrivera au fin fond, je me
paierai au prix fort et ton vœux sera exaucé ?"
Cela dit le vieux reprit sa route tirant son charreton dans un bruit de
ferrailles brinquebalantes. Aussitôt Lou Gourgo fit venir son
fils aîné et lui ordonna de creuser un puits à
l'endroit indiqué.: "Creuse, creuse jusqu'au fin fond mon fils ".
Contre roche, contre pierre, le garçon obéit à son
père, et pendant des jours, des semaines s'attela à la
tâche.
Tous les soirs Lou Gourgo se penchait sur la margelle et lui rappelait
: "Creuse, creuse jusqu'au fin fond mon fils" et le jeune homme
répondait en écho : "Contre roche, contre pierre,
j'obéis à mon père ".
Un soir Lou Gourgo se pencha sur le puits et cria : "Creuse, creuse
jusqu'au fin fond mon fils"... et seul le silence lui
répondit... Plus de fils au fond du puits.
Le lendemain, Lou Gourgo reçut la visite d'un personnage tout de
noir vêtu : un notaire. Celui-ci lui signifia qu'il
héritait du champ convoité.
Les jours passèrent... Lou Gourgo reprit sa contemplation
satisfaite et matinale du paysage... Jusqu'au jour où son
attention fût attirée par un joli bois touffu qui pointait
ses frondaisons dans le lointain.
- "Comme ce bois doit être opulent de ramures, riche d'essences, source de
revenus... Sur mon âme, je donnerai bien une part de ma chair pour avoir cette boisée
A peine avait -il pensé la chose que le roulis métallique du charreton résonnait sur le chemin.
- "Salut Lou Gourgo! Puis-je t'aider en quelque chose ?"
_ "Si fait le vieux, pourrais-tu...?" Avant même qu'il ait eu
à formuler sa requête le vieux colporteur lui dit :
"Demande à ton cadet de creuser seul un nouveau puits à
l'entrée du Pech. Quand il arrivera au fin fond, ,je me paierai
au prix fort et ton voeux sera exaucé ?"
Cela dit, le vieux reprit son charreton et disparut sur le chemin dans le cliquettement de sa carriole infernale.
Lou Gourgo appela son cadet, le conduisit à côté du
puits de son frère et lui ordonna : "Creuse, creuse jusqu'au fin
fond mon fils !".
Contre roche, contre pierre le garçon s'excécuta,
obéissant à son père, et pendant des jours et des
semaines il s'échina à l'ouvrage de plus en plus profond.
Tous les soirs, Lou Gourgo venait se pencher sur le bord du puits et
criait : "Creuse, creuse jusqu'au fin fond mon fils ! " et le
garçon répondait : "Contre roche, contre pierre
j'obéis à mon père".
Jusqu'au soir où seul le silence répondit au Gourgo.
Le lendemain, le personnage de sombre vêtu vint lui annoncer qu'il héritait du bois joli.
La vie recommença à la ferme. Tous les matins de son
ballet Lou Gourgo contemplait sereinement la vue ouverte sur le causse.
Mais un beau jour, Lou Gourgo se mit à envier une bergerie au
toit tuile d'ocre qui sommeillait au loin dans un vallon.
"Comme cette bergerie semble splendide, et son troupeau fourni et
prospère.. Sur mon âme je donnerai une part de ma chair
pour posséder le tout "
A peine avait -il effleuré cette idée que le chant
métallique du charreton maudit annonçait l'arrivée
du vieux colporteur
-"Et aujourd'hui, Lou Gourgo, y a t-il quelque chose dont je pourrai te satisfaire?"
-"Bien sur, l'homme ! Tu sais très bien ce que je veux !"
- "Demande à ton benjamin de creuser seul un puits à
l'entrée du Pech, tout à coté des puits de ses
frères. Quand il arrivera au fin fond je me paierai au prix fort
et ton voeux sera, exaucé". Aussitôt, il disparut dans un
bruit de chaînes et un fumet acre de souffre.
Lou Gourgo fit venir son benjamin, l'accompagna près des deux
puits et lui ordonna "Creuse, creuse jusqu'au fin fond mon fils " ;
Contre roche, contre pierre, l'enfant obéit à son
père, et pendant des jours et des semaines il travailla à
l'ouvrage ; Tous les soirs, Lou Gourgo criait du bord du puits :
"Creuse, creuse jusqu'au fin fond mon fils !" Et la petite voix lui
répondait de
plus en plus faiblement : "Contre roche, contre pierre, j'obéis
à mon père !" Jusqu'au soir, où, le silence, seul,
répondit...
Le lendemain matin, le ténébreux notaire apparut dans la
cour de la ferme du Pech annoncer au Gourgo l'héritage attendu...
Lou Gourgo était maintenant le plus riche paysan du canton...
Le matin, il sortait sur son ballet, regardait la nature, inspirait
l'air du causse, et ... chose étrange, restait
indifférent à tout ...Plus rien ne le satisfaisait. Il
avait beau chercher, il ne trouvait plus aucun goût à la
vie. Tant et si bien qu'un matin il se surprit à souhaiter :
"Sur mon âme, je donnerai bien une part de ma chair pour que
l'harmonie revienne en ce monde ".
Le terrible chant métallique du charreton retentit
aussitôt et il s'entendit interpeller ainsi : "Mais Lou Gourgo,
tu n'as plus de chair à offrir. Tes fils ne sont plus d'ici.
Donne-moi ton âme et je rétablirai les choses en leur
juste équilibre ". Lou Gourgo, plein de remords,
considérant l'abîme de son existence, s'en remis au
colporteur qui l'invita à prendre place dans sa carriole.
A peine avaient-ils disparu sur le chemin dans le cliquettement des
ferrailles, que remontant de l'entrée du Pech, trois silhouettes
de jeunes hommes marchaient en silence vers la maison de leur
père.
Plus personne ne revit Lou Gourgo.
Personne ne veut boire de l'eau des trois puits du Pech de Fourques. On dit qu'elle a un goût métallique.
Si l'envie vous dit, goûtez-y... Vous saurez...
Et cric et crac, moun counto es acabat !
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