La perle rare du géant   

Aux temps où géants et lutins vivaient encore parmi les hommes, le seigneur du causse blanc était un géant dont l'orgueil n'avait d'égal que l'avarice.

Il arpentait ses terres arides à grandes foulées en s'appuyant crânement sur une canne haute comme un mât. Elle était taillée d'une pièce dans un chêne centenaire, son pommeau était incrusté d'une énorme perle noire aussi grosse qu'une oule de bonne tenue. Aux yeux de tous, cette merveille symbolisait, à elle seule, la toute puissance du seigneur de céans. Ce dernier, martelant le sol de sa canne et exhibant sa perle obscure aux éclats du soleil, aimait parader, faisant le tour de ses gens pour leur réclamer son dû et ses nombreux impôts. Ces pauvres paysans, brasseurs de caillasses, étaient d'autant plus miséreux que leurs terres, bien froides l'hiver étaient complètement sèches l'été. Les pluies qui les arrosaient parfois, disparaissaient aussitôt dans le sol calcaire, sans que ni bêtes, ni plantes, ni hommes ne profitent justement de leurs eaux convoitées et salutaires.
Or un matin, au cours d'une tournée de taxes, le géant rencontra à la croisée des chemins du Pech de Fourques, un lutin souriant, appuyé nonchalamment sur une canne mal dégrossie dans une branche d'oranger. Après quelques civilités échangées le petit personnage s'adressa ainsi au géant :
"Beau messire, quel magnifique joyau je vois là trôner sur votre canne ! Vous devez être bien heureux de posséder une telle pièce pour orner votre sceptre, mais quel dommage qu'une telle merveille de la nature soit si solitaire dans vos atours d'apparat. Quel serait votre bonheur et votre renommée d'enrichir d'une autre pareille votre feutre, de dix autres votre collier et de vingt autres votre ceinture ? Votre puissance et votre gloire se verraient et se sauraient au-delà des marches du royaume."
"Si fait mon bon petit ami ", dit le géant rêveur et attristé", mais cette perle orpheline est unique en son genre "
"Ah mais qu'à cela ne tienne !" répliqua le lutin enjoué "Il y a ici même sous nos pieds, suffisamment de bonne terre, pour que celui qui sait : quoi quand et comment planter, voit croître et multiplier en abondance les fruits les plus précieux, les plus extraordinaires, les plus surprenants soient- ils. Nous autres lutins, amis des fées, connaissons ces secrets magiques et ancestraux."
"Eclaire-moi donc l'ami, et je te couvrirais d'or et de richesses, à ta suffisance "
"Soit puissant Seigneur! J'ai confiance en ta noble parole …Pour que ta splendide perle se multiplie, il te suffira de l'enterrer à minuit, un vingt neuf du mois de février, dans un endroit comme ici, désert et bosselé de cailloux. Au-dessus, plante cette branche d'oranger, puis part sans te retourner et ne reviens que sept jours plus tard. Il ne te restera alors qu'à venir cueillir les fruits de l'arbre que tu trouveras en lieu et place. Un sur sept sera une perle du même calibre que celle-ci, pour les plus petites. Quel jour sommes-nous ?" conclut le lutin.
"Le vingt neuf février "répliqua le géant, ravi et réjoui du hasard, de la chance, des fruits promis et de sa bonne fortune.
"Et bien fait ce que bon te semblera pour le mieux de tes intérêts !" claironna le petit être , abandonnant sa canne d'oranger tout en s'échappant en sautillant.
Ainsi le soir même, un peu avant la mi-nuit, le géant, en grand secret, sa canne d'une main, la branche d'oranger de l'autre, se faufila dans la pénombre jusqu'en un lieu adéquat. D'un coup de sa canne en chêne, il ouvrit un trou dans le sol pierreux et y déposa sa perle merveilleuse. Il referma bien le tout en prenant bien soin de planter au-dessus le bois d'oranger. Enfin, il repartit sans se retourner dans la nuit, plein d'espoir et d'impatience…
Au jour dit, fébrile sa longue attente, il retourna sur les lieux …Mais il ne vit aucun oranger miraculeux, aucun arbre perlier d'aucune sorte. Fou de douleur, il fouilla le sol pour récupérer sa perle, son précieux bien, son âme, son pouvoir. Mais il eut beau planter dix fois, cent fois et plus sa canne en maints endroits, rien n'y fit. Les trous restaient béants, vides de perle.
Alors il courut tout le pays comme un dément, sondant le sol de sa canne mutilée, pleurant toutes les larmes de son corps démesuré après son trésor et son honneur disparus…
Honteux et ruiné, il ne laissait derrière lui qu'une multitude de trous, avec juste en leurs fonds que l'eau de ses larmes et les échos de ses pleurs. Puis un matin, on ne le revit point, en quelque endroit que ce soit .
Cette histoire est vraie de vrai, en voici trois preuves. Depuis cette aventure on ne voit plus de géant dans ce pays. Il n'y a toujours pas d'oranger sur ces terres de causse. Par contre, on peut encore voir les dizaines et centaines de trous, traces des fouilles infructueuses du géant. Les paysans les ont même bâti en puits et citernes .Ils offrent maintenant une autre richesse essentielle dans ces terres calcaires : l'eau…