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Par
un beau jour de printemps, dans une modeste ferme du Quercy, un brave
laboureur se retrouva veuf à la naissance de son
troisième fils. Le bonhomme, inconsolable de son deuil, fit de
son mieux pour élever seul ses garçons. Les deux
premiers, robustes, dociles et travailleurs, avaient toutes les
qualités requises pour vivre et prospérer du difficile
travail de la terre sur ces Causses. Le petit était plus fragile
et rêveur. Avec une infinie tristesse, son père retrouvait
en lui les yeux de sa regrettée épouse.
A l’entrée
d’un hiver, le paysan partit rejoindre sa tendre et chère,
laissant trois orphelins et ses dernières volontés. A
l’aîné, il léguait la ferme et ses animaux ;
au second les terres et sa charrue. Quant au plus jeune, il ne
cédait qu’un frêle ormeau dans un pré, avec
pour seule terre celle couverte par l’ombre de son branchage au
zénith. Les deux grands s’associèrent tout
naturellement, quand au gamin il ne put que s’asseoir à
l’ombre mince du petit ormeau avec des larmes au fond de ses
yeux.
Alors qu’il était perdu dans son chagrin, il entendit une petite voix lui murmurer :
-« Pourquoi tant de pleurs, toi qui me possèdes ? »
C’était
l’ormeau qui parlait à son cœur avec beaucoup de
douceur…L’enfant lui répondit : -« Mon
père ne m’a laissé que toi pour seul
héritage. Je n’ai ni abri, ni avenir… »
-« Monte sur mes
basses branches, rassemble-les du mieux que tu peux et avec
construis-toi une cabane. Ainsi nous grandirons ensemble »
L’enfant obéit. Il vécut là, se louant à la journée pour de menus travaux au village.
Dans la chaleur
d’un été aride, le garçon se reposait sous
son orme, épuisé par une corvée de bête de
somme qu’on lui avait confié pour un morceau de pain. Il
considéra avec tristesse sa pauvre condition de brassier et des
larmes noyèrent ses doux yeux.
-« Pourquoi tant de pleurs, toi qui me possèdes et que je protège ? », lui murmura l’arbre.
-« Mon
père ne m’a laissé que mes petits bras pour seuls
outils. Je n’ai ni métier ni avenir. »
-« Rassemble mes bois morts, donne leur forme et mouvement. Ainsi nous grandirons ensemble. »
Le garçon
obéit et sculpta les bois de l’orme. Les œuvres
qu’il créait étaient si étonnantes, si
émouvantes que l’on vint de très loin pour les
admirer et les acquérir. Ainsi les branches de l’arbre
voyagèrent dans bien des pays. L’ombre de l’orme
s’étendait d’autant plus sur le monde, même
bien au-delà des causses.
Le garçon
avançait en âge et par un triste jour pluvieux
d’automne, il ressentit un grand vide dans sa vie. Il
s’appuya contre le tronc et sentit ses yeux embués de
larmes.
-« Pourquoi tant
de pleurs, toi qui me possèdes que je protège et que
j’instruis ? »lui murmura l’orme.
-« C’est
que mon père m’a laissé bien seul au monde,
orphelin, sans aucune affection de mes frères qui se sont
détournés de moi. Sans amis, je reste sans avenir. »
-« Monte sur ma
cime retrouver l’oiseau qui niche dans mes hautes branches et
fais-t’en un compagnon. Ainsi nous grandirons ensemble. »
Le garçon grimpa
tout en haut de l’orme trouva l’oiseau et
l’apprivoisa si bien qu’il devint son ami.
Mais l’oiseau
devait partir pour passer l’hiver loin des frimas caussenards. Le
garçon décida de le suivre dans son lointain
périple. Les yeux pleins de larmes, triste et inquiet de se
séparer de son orme, il enlaça le tronc tendrement de
toutes ses forces et de son affection .
-« Pourquoi tant de pleurs, toi qui me quittes?»
-« Mon choix est
difficile et douloureux, mais je dois quitter ta ramure
familière pour suivre mon ami l’oiseau vers de
nouveaux horizons. »
-« Taille une de
mes branches de l’année et fabrique-t’en un
bâton de marche pour courir le vaste monde. Ainsi nous grandirons
ensemble. »
Plus
tard bien plus tard, aux premières percées d’un
printemps tardif, le garçon était de retour. Après
avoir accompagné l’oiseau, vécut beaucoup
d’aventures, fait bien des rencontres, il s’en revenait
plein d’usages et raison vivre auprès de son arbre le
reste de son temps. Hélas, le tronc était froid et nu,
sans feuille ni bourgeon : il était mort de la maladie de
l’orme qui sévissait dans la contrée. Le jeune
homme attristé s’assit contre la souche et demeura pensif
un long moment. Des larmes coulèrent de ses yeux au pied des
vieilles racines, et c’est alors qu’il aperçut de
timides rejets pointer à travers les mousses Il faudrait
être patient, mais ensemble ils grandiraient.
Et cric et crac, moun counte es acabat !
Raphaël Baux
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