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Sur les hauteurs des Causses du Quercy, les arbres qui
réussissent à s’enraciner dans l’entrelacs
des pierres blanches trouvent leur sens et leur histoire dans les
tréfonds calcaires au prix de bien des efforts et des hasards.
Aussi aucune de leurs histoires n’est banale à qui sait
l’entendre de la bonne oreille. Mais la plus étrange de
toutes est sans doute celle de l’arbre mort qui donnait un sens
à la vie du mortel chanceux à qui il annonçait sa
fin prochaine…
Cette histoire est si ancienne que personne ne sait quand elle a
vraiment commencé. Mais si en toute chose il faut une
première pierre, nous bâtirons donc l’entrée
de notre conte sur l’aventure de Pierril.
Ainsi donc, Pierril, le brave berger, rentrait de la foire de Caussade,
satisfait d’y avoir bien vendu quatre brebis. Il avait pris le
raccourci pour rentrer à sa bergerie avant la nuitée. Il
longeait le vieux chemin au bout duquel trônait depuis toujours
le squelette d’un chêne monumental hors d’âge,
foudroyé sans doute au temps du Déluge. En fait, depuis
toujours on ne connaissait de ce fantôme branchu baptisé
au feu du ciel que sa haute silhouette noire et sèche,
éternellement dévêtue de toute feuillure, sans
prise ni au vent ni au temps, à jamais imperméable aux
pluies et à la froidure.
Pierril marchait d’un bon pas, poussé par le vent
d’autan annonciateur de pluie. Quelle ne fut pas sa surprise de
découvrir sous la lumière du couchant un verdoiement
étrange sur le tronc statufié ! L’arbre mort
de toujours était couvert de feuilles toutes bruissantes et
ondulantes sous le vent…Le berger fut troublé à la
vue de ce spectacle surréaliste. Arrivé chez lui, il
raconta le phénomène à sa femme qui n’en
crut rien, bien certaine qu’il avait libationné plus que
de raison la vente de ses brebis.
Aussi, le lendemain matin, Pierril n’eut de cesse
d’amener son épouse devant le vieux chêne pour lui
faire constater de visu la renaissance miraculeuse. Et là,
nouvelle surprise : l’arbre était
dépouillé de toute verdure comme à son
accoutumée. Sans illusion, sa moitié lui dit:
« Tu auras mal cuvé un vin de
coteaux ! ». Pour elle, l’affaire était
entendue sans conséquence. Pierril, lui, y vit un signe du
destin. Sans l’interpréter plus, il reprit son labeur
quotidien de plus belle manière. Pour ce faire, il décida
d’achever le creusement d’un puits qu’il
négligeait depuis trop longtemps. Ce puits lui permettrait
d’abreuver son troupeau même au cœur de
l’été le plus aride. Il acheva l’ouvrage en
quelques jours et, quand il eut fini d’installer
l’abreuvoir de pierre près de la margelle, il contempla
l’ensemble, puis se mira dans la lune argentée
formée par la surface d’une eau pure, claire et
fraîche maintenant présente au fond du bâti. Enfin,
harassé et heureux, il rentra chez lui, se coucha et mourut dans
la nuit…
A peu de temps de là, et pas bien loin, sur le causse blanc,
Amédée le laboureur s’en revenait de la foire de
Caussade, riche d’une nouvelle paire de bœufs qu’il
envisageait de louer à bon prix à la saison. Il avait
choisi de couper par le vieux chemin étroit pour mieux guider
ses bestiaux encore mal dressés. Arrivé au niveau du
vieux chêne foudroyé il n’en crut pas ses yeux ni
ses oreilles : toute une ramure neuve ornait maintenant
l’immense tronc, couverte jusqu’à la cime
d’une verdure bruyante dans le vent du soir.
De retour à sa ferme, il raconta ce curieux
événement sylvestre aux siens. Mais le lendemain, ils lui
rirent au nez : l’arbre étant toujours
déplumé. Sans se vexer pour autant, Amédée,
pressentant qu’un signe du destin lui avait été
personnellement adressé, considéra qu’il
était temps d’achever les ouvrages en cours. Le plus
pressant était de relever un long muret de pierre
sèche qui devait clôturer enfin son nouveau champ
libéré des rocailles depuis l’été et
prêt aux labours. Après quelques jours de chantier, il
hissait sur la muraille le dernier rastel de couverture.
L’ouvrage ainsi bouclé protégeait superbement les
arpents d’une belle combe à la terre rouge, riche de
promesses. Avec satisfaction, il rentra chez lui, pansa ses
bêtes, embrassa sa famille, se coucha et mourut vers la mi-nuit.
Peut être avant, peut être après, le boulanger,
maître Cournille, retournait vers son logis, tout heureux du
pétrin et des paniers qu’il avait rachetés à
un collègue de passage à la foire de Caussade. Sa
charrette cahotait fort sur le vieux chemin avant d’arriver au
niveau du vieux chêne mort. Mais que voyait-il là ?
Cette vieille branche sèche longue comme un jour sans pain avait
reverdi de plus belle et chantait de tout son feuillage sous le vent
encore chaud et odorant de senteurs caussenardes. « La vie
est belle quand le soir venu l’espoir reste vivant »,
pensa le brave homme. Il rentra chez lui, conta ce miracle que personne
d’autre ne vit. Depuis quelques mois, Maître Cournille
avait un ouvrage en souffrance : il lui fallait remettre en
état son vieux four, dont la sole et la voûte
étaient à reprendre. Sans perdre plus de temps, il
s’appliqua donc à achever au mieux et sans délai
cette mission. Cela fait, et une fois la première fournée
sortie toute chaude, dorée et crépitante du four
restauré, maître Cournille se trouva comblé. Il se
coucha tôt matin et mourut tranquillement avant le lever du
soleil.
Rentrant par le vieux chemin des crêtes, Martin le meunier
trottinait aux côtés de son âne, tout chargé
du nouveau toilage pour les ailes de son moulin ancestral. Il
l’avait troqué le matin même à la foire de
Caussade. Il aimait l’ombre et la fraîcheur du souffle
d’air du vieux sentier. Comme à son habitude, il
s’apprêtait à faire halte près du vieux
chêne mort, quand il entendit un chant nouveau porté par
le vent, un bruissement familier qui ne résonnait jamais par
ici . Un feuillage touffu respirait et sifflait bruyamment au vent
du soir sur les branches d’habitude décrépites et
muettes du chêne foudroyé…Sans perdre de temps,
Martin rentra chez lui, ne dit rien du prodige à personne. Au
plus tôt, il rendit au tavernier le sac de farine qu’il lui
devait. Puis il changea les toiles de son moulin. La tâche
était périlleuse mais il en vint à bout. Tout
content et serein, il rentra prendre du repos, mais ne se
réveilla jamais…
Si un jour, en rentrant d’une foire de Caussade ou à une
autre occasion, vous décidez de marcher sur le causse,
promenez-vous sur le vieux chemin, un beau chêne foudroyé
vaut le détour et vous y attend …
Et cric et crac, moun counte es acabat !
Maurice Baux
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