Le trésor du chêne
En des temps anciens, mais à une époque pas si lointaine, les bois étaient encore une source de richesse pour les hommes vivant sur les Causses du Quercy.
Sans compter, des générations de bûcherons taillaient allègrement dans la forêt, fournissant en abondance de multiples essences aux charpentiers, menuisiers, charbonniers, cheminées et âtres en tous genres…
Un brave homme du nom de Peyroutou vivait là sur ces terres calcaires, et exerçait ce dur métier de bûcheron que lui avait appris son père qui le tenait lui-même de son père. Tant bien que mal, Peyroutou nourrissait honnêtement sa famille, maniant vaillamment sa hache, sans plaindre ni sa peine ni son labeur.
La veille d’un Noël, Peyroutou s’apprêtait à abattre un petit chêne pour compléter son dernier bûcher de l’année, quand une voix aigrelette sortie de l’arbre l’interpella :
    -« Retiens ton bras et baisse ta cognée, Peyroutou. Je vaux mieux debout qu’un stère et dix fagots.
Etonné qu’un chêne connaisse son nom, Peyroutou lui répondit cependant :
    -« Ton destin est d’achever mon bûcher avant demain, comme le mien est de nourrir ma famille et de disparaître un jour. Soyons sages et acceptons notre sort.
    -« Attends encore un peu Peyroutou ! Quand toi et les tiens aurez réduit à néant tous mes semblables, ces terres fragiles auront perdu une part essentielle de leur âme. Rapidement, vos enfants ne verront ici qu’une pauvre rocaille aride et n’y connaîtront que misère. Aujourd’hui, épargne-moi, et reviens demain. Alors, sers-toi de tes yeux, cherche et découvre le trésor dont à l’avenir je serai porteur. Tu comprendras que je vaux debout mieux qu’un stère et dix fagots.
Considérant qu’il ne prenait pas de risque en accordant un tel sursis, Peyroutou s’en retourna chez lui.
 Dès le lendemain il revint devant le petit chêne réclamer son dû. Il avait beau lever les yeux vers les hautes branches jusqu’à la cime, aucun trésor ne pendait à la ramure.
    -«  Tu t’es moqué, le chêne. Je vais te montrer céans de quel bois je me chauffe ! »
La hache levée, il s’apprêtait à abattre l’arbre, quand la petite voix l’interpella à nouveau.
    -« Retiens ton bras et baisse ta cognée. Tu continues à me regarder comme un bûcheron. Sois humble, baisse la tête et observe les choses comme un homme de la terre. Tu comprendras que je vaux mieux debout qu’un stère et dix fagots »
Peyroutou fit ainsi, et il vit alors que tout autour du chêne un curieux cercle de terre sans herbe ni végétation était bien marqué. Cela l’intrigua. Soudain une petite mouche s’éleva du sol dénudé et tournoya autour de son point d’envol. Peyroutou mit genoux à terre et de ses mains fouilla le sol à cet endroit là. Ses doigts terreux ne tardèrent pas à mettre à jour une pierre curieuse, informe, sombre, légère et granuleuse, comme une motte noirâtre ou une gangue brunâtre.
Il la dégagea, la frotta et fût surpris du parfum puissant qui émanait d’elle. C’était une fragrance envoûtante et sans pareille, jamais exhalée à ce jour.
 Il retourna chez lui, montra sa trouvaille à sa femme qui ce jour de Noël recevait à sa table famille et amis. Inspirée par le parfum de l’étrange découverte, elle coupa l’étonnante chose odorante en fines lamelles dans sa poêlée d’œufs battus, et en mélangea quelques miettes dans la farce de la poule qu’elle s’apprêtait à dorer. Et là, Noël ! Noël en bouche ! Un miracle gustatif s’accomplit. Tous furent envoûtés par la saveur du fruit nouveau. La truffe, trésor de nos papilles était révélée à l’homme…
Peyroutou raconta à tous le détail de son aventure avec le petit chêne. Et c’est depuis lors que les bûcherons des Causses regardèrent autrement les chênes dont il prirent l’habitude de détourner leurs cognées. En observant différemment la nature, la terre, et même les mouches, en mettant genoux à terre, en fouillant le sol de leurs mains, ils apprirent la patience, l’humilité, et comprirent pour le bien commun, qu’un arbre debout vaut parfois mieux qu’un stère et dix fagots !
Et cric et crac moun counte es acabat !

                                                       Maurice Baux