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Jadis,
il y a bien longtemps, régnait sur le village de Bruniquel et
sur toute sa contrée, un seigneur puissant et dominateur.
Son orgueil était immense et absolu. Il n’écoutait
que sa suffisance, il n’entendait que sa vanité, il
n’ouïssait que son arrogance. Il lui fallait être en
toute chose au-dessus de tous et de tout; à tel point que
même la hauteur du château qu’il tenait de son
père lui devint insuffisante. Tout de go, il en fit bâtir
un autre, tout à côté, plus haut de cent vingt
coudées. Puis s’avisant du résultat, il jugea
indispensable de le surmonter encore d’une tour plus haute de
soixante coudées. Il put alors contempler à souhait, du
haut de son orgueil, son territoire et ses gens…
Pour le malheur de tous, sa folie dominatrice ne s’arrêta pas là…
Au cours d’une de ses chevauchées, sa vanité se
trouva fort contrariée et grandement blessée à la
seule contemplation de la majesté des chênes centenaires
qui s’épanouissaient de toute leur splendeur à
travers le pays.
Il se prit à croire que ces arbres généreux faisaient de l’ombre à sa propre gloire.
Sur le champ il ordonna à ses bûcherons d’abattre
tous les chênes de plus de dix coudées. Ce fut un massacre
sylvestre. Terrorisés par leur seigneur et maître, tous
s’attelèrent à la tâche. Tous, sauf un petit
bûcheron qui se présenta à la porte du
château implorer clémence pour les chênes qui
faisaient vivre le pays depuis tant de générations.
Du haut de sa tour le seigneur, fou de rage, ordonna qu’on
l’exécute sur place en lui tranchant la tête avec sa
propre hache. Avant de périr sous le fer de sa cognée, le
pauvre bûcheron lança au tyran: « Puisses-tu
rester à jamais prisonnier de ton orgueil et de tes hauts
murs »…
Dès lors que le seigneur voulut sortir de son château, il
se sentit retenu à l’intérieur par une force
invisible et puissante. En fait, ni à pied, ni à cheval,
ni en carrosse, ni même déguisé, jamais plus il ne
put franchir le seuil du portail de son château
La nouvelle du sortilège fit le tour du royaume. Il devint la risée de tous…
Sa rage se changea en honte, jusqu’au jour où il
décida d’en finir de sa misérable existence en se
précipitant par-dessus la muraille de sa forteresse. Mais
au moment de se lancer dans le vide, ses pieds se coincèrent
entre deux pierres des créneaux et se transformèrent
instantanément en racines, son corps entier devint un tronc et
des branches d’érable, le tout figé en
équilibre au-dessus du vide. On peut encore l’y voir
aujourd’hui, dans cet état et cette posture.
On a oublié jusqu’au nom du seigneur orgueilleux. On ne
connut jamais celui du bûcheron courageux, mais pour honorer sa
mémoire, on baptisa le pays du vieux nom latin de Quercus,
puis Quercy. Autrement dit le pays du Chêne…
Et cric et crac moun counto est acabat. M.B.
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