Fondette  

Jadis, parmi les chênes malingres des Causses du Quercy, la petite commune de Mouillac s’était pratiquement vidée de sa population. Pendant plusieurs années il n’y eut qu’une habitante : Fondette. Elle possédait un puits grand, profond, généreux, d’une eau pure, limpide et fraîche, mais elle seule pouvait profiter de ce breuvage vital.
Que s’était-il donc passé ?
Il se raconte que lorsqu’elle naquit un petit farfadet répugnant, malodorant, ignoble, apparut sur une pierre au milieu de la cour de la ferme qui, d’une voix aiguë, disait :
«  - Creuse, creuse, creuse ! »
Il fut chassé et entra dans l’oubli de tous ceux qui l’avaient aperçu. S’en suivirent plusieurs étés consécutifs de sècheresse entraînant la désolation. Il y eut une réunion des plus raisonnables habitants de la commune. Torquebouc en faisait partie et lui seul se souvint de l’apparition pourtant marquante de Farfadet et de ses injonctions. On creusa donc à l’endroit indiqué.
Depuis, il y avait, chaque matin, une réserve d’eau suffisante pour toutes les âmes du village et leurs animaux. Et les années passaient sans crainte pour quiconque. Fondette grandissait et devenait une superbe jeune fille ; elle n’en était pas consciente mais les regards soutenus des hommes et les jalousies des femmes annonçaient un mauvais présage.
Son plus proche voisin, Torquebouc, avait des vues sur elle et lui en fit part sans ménagement :
« - Te voilà bien belle à présent, tu devrais être mienne.
   -Oh non ! Monsieur Torquebouc, je ne pourrais jamais vous aimer comme on aime un amoureux !
   - Petite garce, je te dis que tu seras mienne ! »
Il était furieux, mais il l’enlaça en essayant de l’embrasser. Elle résista et parvint à se libérer de cette répugnante étreinte. Elle courut se réfugier derrière le fameux puits et pleura silencieusement.
 Depuis cet instant, ce goujat avait beau envoyer les seaux au fond du puits, ceux-ci remontaient aussi vides que ceux qui descendaient. Si quelqu’un voulait puiser l’eau pour Torquebouc, dés qu’il touchait au récipient, l’eau disparaissait.
L’inquiétude montait, chacun s’interrogeait. Quelle pouvait être cette sorcellerie ?
Petit à petit les regards vers Fondette changeaient. Les gens devenaient méchants
 «  - C’est elle la sorcière !. »
 La pauvre petite se rendait compte de la modification des comportements et cela l’affligeait. Elle gardait le sourire cependant. Sa générosité était la même mais ils l’exclurent.
Une, deux, six, quinze familles n’avaient plus droit à l’eau. Les conversations allaient bon train
«  - Elle communique avec le diable !! Plus personne n’aura d’eau, elle l’aura toute pour elle, j’ai bien vu son regard lorsqu’elle se penche vers le puits, elle doit jeter un sort. »
Les cœurs des Mouillacois devinrent durs comme le terrain du causse et secs comme le puits pour eux. Certaines familles décidèrent de partir, abandonnant biens et bétail. Les plus méchants, entêtés, tenaces, n’auraient pas cédé une pierre et préférèrent mourir.
Dorénavant Fondette était seule. Laissant de l’eau en permanence dans un abreuvoir, elle permettait aux animaux de continuer à vivre. Les journées de solitude étaient très longues. Chaque soir la petite pleurait. Connaissant l’histoire du puits, au jour de ses 16 ans, elle eut une idée.
« - Farfadet ! Farfadet ! Pourquoi suis-je seule ? »
Jailli du puits, toujours aussi repoussant, il répondit :
« - Enfin, tu me parles ?!
- Aide-moi, Farfadet !
- Tu vois, je suis minuscule, prends-moi sur ton épaule et fais-moi visiter ton village vidé de sa population car avec mes petites jambes je n’arriverai pas à te suivre. »
Fondette s’exécuta sans se soucier de la laideur du lutin. En avançant Farfadet disait :
« - Creuse, creuse, creuse ! » à bien des endroits. Elle en comptabilisa 60 sur toute la commune. La visite terminée elle posa Farfadet à terre.
 «  - Que dois-je faire à présent ?  dit-elle.
     - Creuse, creuse et reviens. »
Prenant pelle et pioche, elle implora le ciel de l’aider, rien n’y fit. Le sol était trop dur, elle fit appel aux fées, à Farfadet, au diable, rien. Ses mains étaient en sang à force de taper. Elle essaya à chacun des points déterminés par Farfadet, mais tous ses efforts furent vains. Fatiguée, elle rentra à la ferme, des gouttes de sueur mêlées aux larmes perlaient sur son visage. Ses doigts avaient gonflé et son cœur était lourd.
«  - Farfadet, je n’ai pas réussi à creuser !
    - Montre-moi tes mains. » Il constata qu’elle avait courageusement essayé.
«  - Prends un seau d’eau bien rempli, porte-moi et refaisons le circuit. »
Bien que très lasse mais si désireuse de voir revenir la population sur le causse, elle partit avec ce compagnon.
«  - Prends quelques gouttes et verse les là où tu as voulu faire un trou. »
Elle obéit. L’eau s’infiltra dans le sol et disparut. Elle reproduisit les mêmes gestes 60 fois. Quant à Farfadet, il psalmodiait quelque formule.
Trois jours après cet événement, de magnifiques puits avaient surgi, remplis d’une eau bien claire, la plupart dotés d’une toiture et même d’une porte. Fondette pleurait de joie.
« - Merci Farfadet, merci encore. » Elle déposa un baiser sur la joue du mystérieux petit être. Personne n’aurait osé le faire.
Farfadet et Fondette disparurent.
A partir de ce moment, tout fut bien différent à Mouillac. Des familles sont revenues et l’eau ne manque jamais. Le cœur et l’esprit des habitants sont changés, comme lavés par l’eau salutaire des puits.
Nul n’a revu encore Farfadet ou Fondette.