Pierril du Pech  

En un temps où les contes se confiaient d'âtre en âtre, faute d'écrivains pour être écrits, même sur parchemins, et surtout par défaut de lecteurs pour les lire, vivait sur une crête pierreuse du Causse aride du Quercy, dans le hameau de1Pech, une famille de paysans. Pour l'époque, qui était dure aux hommes, ils n'étaient ni riches ni pauvres. Ils étaient là courbés sur leur terre de caillasses, depuis es générations Les bonnes années, ils n'avaient pas trop faim ni trop froid; les mauvaises, les petits et les plus anciens arrivaient à ne pas mourir…
A l'époque où commence notre histoire, l'oncle Jean, dit Bontat, était revenu depuis deux saisons de la croisade. A l' âge de son quinzième printemps, comme homme d'arme, il avait suivi, dans cette pieuse aventure, la troupe du plus jeune fils du marquis de Puylaroque, et, contre toute attente, il en était revenu, seul, presque entier, à son trentième anniversaire.

A la ferme et dans les environs, il jouissait alors d'un immense prestige. On le craignait un peu aussi. Pourquoi et comment était-il revenu de si loin, plein d'usages, d'histoires et de raison vivre entre ses parents le reste de son âge? Les enfants l'adoraient, c'était l'homme qui connaissait le plus de contes et qui ne les rudoyait jamais au labeur.
Dans la maisonnée, le plus jeune de la marmaille s'appelait Pierril. Il suivait Bontat dans tous les travaux et dans toutes les fêtes. Il buvait ses paroles et s'abreuvait de ses histoires....

Une année maudite, une sécheresse cruelle écrasait le causse, assoiffant plantes, animaux et hommes...
Un jour, le père réunit toute la famille et dit fort marri: « Encore cette saison, la terre est si sèche que l'on ne distingue plus les mottes des pierres. Bêtes et gens sont épuisés de courir des lieux et des lieux pour se suffire à peine d'une eau boueuse. Nos citernes creusées si profondément dans le sol pour recueillir l'eau de pluie, la seule eau accordée par notre Dieu tout puissant sur notre coin de terre assoiffée, nos citernes sont désespérément vides; au point qu'on ne trouve que poussière au fin fond de la plus sombre. Il nous faudra bientôt partir pour ne plus mourir. »

Pierril décida alors de ramener l'eau par tous les moyens dans les bouches sèches et béantes des citernes du Pech. Il alla en parler au Bontat, son héros et son guide.
Celui-ci fixa les ombres de midi tremblantes de poussières et dit: «Des déserts que j'ai traversés, des Mauresques, que l'on appelait caravaniers, m'ont rapporté une légende bien peu chrétienne. Au cours d'un affrontement, un diable avait été précipité pour mille ans dans le puits de l'abîme. Il y cracha force feu et soufre, mais y resta. Et depuis, il erre dans les entrailles de la terre jusqu'à ce qu'il arrive à trouver une pierre à abreuver. Alors, pour revoir le soleil et reprendre sa liberté, il devra exhausser sans marchander le souhait le plus cher de la pierre. »

Pierril, qui était agile et minuscule, récupéra tous les cordages et les torches qu'il put trouver et commença ses explorations dans les tréfonds obscurs des boyaux et des citernes désespérément vides. Il cherchait inlassablement une source, une flaque pour la creuser et la dégager. .. mais en vain.
Au fond du dernier boyau asséché, il trouva un malheureux crapaud pantelant et mourant. «Pauvre bête, si loin du soleil et de l'affection des hommes. Tiens, prends la dernière goutte de ma gourde. Qu'elle soulage ton misérable trépas et repose en paix ! »
Dès que la goutte s'écrasa sur la large bouche du crapaud, celui-ci cracha, fuma, gonfla et éclata dans un nuage de soufre. C'était le diable conté par Bontat, avec cornes, fourche et sabots.

«De ta pitié, je n'ai que faire» gronda le démon. « Il m'a fallu presque mille ans de ruses et de magie pour que j'arrive à me déguiser en cette vile bête et voilà que tu me remets en un état où je ne reverrai jamais ni le jour ni ma liberté. Tu vas payer pour ton geste. Tu vas devoir rester avec moi. Tu seras mon esclave pour toute ta vie. »
« Oh beau diable! » dit Pierril, « ma petite existence va être bien courte. Je viens de te donner ma dernière eau. La mort miséricordieuse va écourter mon calvaire.»
« Qu'à cela ne tienne! » lui dit le grand diviseur et il lui tendit une gourde remplie d'une eau fraîche et pure. «J'ai mieux que la soif pour te punir longuement et douloureusement, et il est dans mon intérêt que tu dures dans cette profonde et obscure geôle.»
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le pauvre Pierril but à satiété et dit : «Foi de Pierril, me voilà bien abreuvé! »
Alors le diable s'étrangla tout de pourpre «Pierril ? Pierril ! Petite pierre, je t'ai donc abreuvé, dis ton souhait, je dois l'exhausser... » Pierril, tout étonné, bredouilla alors: «Que tout notre chapelet de trous et de citernes vides devienne puits, réceptacles d'une eau aussi claire, fraîche et abondante que celle de ta gourde. »
    Ainsi fut fait. Le diable s'exécuta en pestant contre le destin et l'innocence et s'échappa sans discuter ni marchander; vers ses enfers familiers.
Depuis, le Pech s'appelle le Pech de Fourques en souvenir du fourchu et Pierril se fit appeler Pierre. Il devint bâtisseur de murets et de maisons en pierres sèches. Il vécut très longtemps au milieu de ses nombreux enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants.

Quant au diable, on prétend qu'il mit encore mille ans de ruses et de fourberies avant de se transformer à nouveau en créature baveuse... Les temps ont changé car il se fit élire….mais ça, c'est une autre histoire.
Pour l'instant, comme le dit Bontat :
« et cric et crac moun counto est acabat !